ailleurs si j’y suis

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– Je trouve le temps long, dit-il en détournant les yeux vers la fenêtre ouverte sur le soir.
– Voudrais-tu peut-être qu’il soit court? lui demanda-t-elle en riant.
– Pas nécessairement court, non. Mais pas long non plus.
Elle l’observait de côté. Il était difficile de décoder l’expression de son visage. Il était affable mais distant. Elle ne savait que faire et serait volontiers allée voir ailleurs si elle y était, comme quand elle était enfant et qu’on l’envoyait voir dans la cuisine si l’on y était. Quand on était au salon. Quelle idée saugrenue. Mais les adultes avaient de drôles d’idées, elle avait déjà pu à maintes reprises s’en rendre compte. Ils se cherchaient toujours là où ils n’étaient pas. Et il ne fallait pas les contrarier. Il fallait aller voir dans la cuisine et revenir au salon pour leur dire gentiment qu’on ne les y avait pas trouvés. Mais d’autre part, pensait-elle alors, s’ils n’étaient pas capables de se rendre compte tous seuls qu’ils étaient au salon, qu’y pouvait-on?
Elle l’observait de côté et courait à perdre haleine dans les pièces de sa mémoire pour voir si elle y était.

vous êtes le sel

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Comme il parlait et riait, et qu’à ses côtés, indéchiffrable, une jeune femme comptait les ânes qui lui trottaient en tête, on aurait pu en déduire que la faune étrange qui traversait la table et courait dans la salle bondée, renversant plats, couverts et êtres mortels qui avaient la mauvaise idée de se trouver sur son passage, était née  de son imagination fertile et fiévreuse. Mais il n’en était rien. Cette faune indépendante avait la chaleur d’entraille de cette vie qu’il sentait palpiter timidement à ses côtés. La jeune femme ne se souvenait plus du jour de sa naissance, elle respirait tranquillement et écoutait une épaule lui raconter des secrets inviolables.

le balcon

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Il m’arrivait souvent de tendre tout mon corps vers l’extérieur. J’y trouvais un plaisir que rarement n’égale celui que d’autres trouvent à se terrer à l’intérieur. Il faut dire que la qualité de l’air y était pour beaucoup dans ce choix instinctif que je faisais de me prostrer tel un sphinx, à l’extérieur. Dans cette immobilité vertigineuse, je contemplais des siècles de tentatives de silence. À l’intérieur, ce qui parlait se taisait aussi indéchiffrablement. Merveilleuse connaissance qui avait su traverser le temps corruptible intacte! Souvent un grand éclat de rire balayait les pensées les plus incongrues : il fallait que je me résolve à limiter les dégats causés par ma bêtise.

fais ce qui te plaît

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Il en était souvent ainsi, en parcourant les trottoirs des villes durant ces mois-là, nous jetions des regards incrédules aux contructions étranges qui les longeaient. Nos yeux effilés taillaient des portions entières de toits et les laissaient chuter vers le ciel. D’ailleurs, ils n’épargnaient rien et en moins de temps qu’il ne faut pour le dire, des immeubles entiers avaient disparu derrière les nuages qui se traînaient sans se résoudre à désirer la mer plutôt que la montagne. Et pourtant, nous n’étions pas dupes, la ville intacte flambait sous le soleil de juin et nous étions heureux.

le minotaure

 

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Je m’assis un instant et me levai immédiatement. Je ne me souvenais plus de ce qui précédait, ne savait plus où j’allais. Ce qui était déjà advenu semblait scintiller dans la pièce. Je tentais de souffler sur une flamme mais elle se dérobait constamment, mon attention était si soutenue pourtant que la flamme était droite comme un point sur un i qui met fin à de longues circonvolutions inutiles. J’attendais sans attendre et regardais sans voir – muette, je n’entendais rien. Quand l’étrange bourdonnement prit fin, je fixais dans ses yeux jaunes un animal qui n’était ni un jaguar ni un lynx mais qui silencieusement me faisait rougir. Mes yeux s’accrochaient au passage buté et serpentueux d’une fourmi noire comme ceux de l’affamé au pain : la vie.