nappes phréatiques

Elle est assise entre quatre murs, eux-mêmes compris entre d’autres murs. Sans considérer le plafond et le plancher. Inexorablement, le temps passe, dont on lui a dit qu’il n’existait pas. Elle a la chance, invraisemblable si l’on en croit les probabilités, d’être en vie et elle ne sait pas quoi en faire.
Certes, elle peut s’agiter et donner libre cours à sa vitalité. Mais est-ce cela, être en vie ? Oui, aussi. Quoi qu’elle fasse, elle participe à des guerres, détruit des sous-sols, pollue des nappes phréatiques.
Elle entre dans la chambre. Par la persienne, un rayon de soleil pénètre dans la pièce pour finir sur les draps défaits. Que la lumière d’un astre si lointain puisse venir jusqu’à elle pour la débusquer entre ces quatre murs l’émeut.
C’est peut-être à force d’avoir cherché un sens à cette vie que celui-ci s’est délité.  
Elle a pris le téléphone entre les mains. Elle pourrait composer un numéro et comme la lumière du soleil, elle pénètrerait dans une pièce.
On ne sait jamais de qui on est l’astre le plus brillant.

la bonne mère

Je ne rêvais plus. J’étais confuse. J’avais de nouveau erré dans des rues inconnues et fréquenté des lieux obscurs. La mer était agitée et les eaux troubles. J’avais tout mon temps et il me filait entre les doigts, comme le sable l’été, chaud au creux de la paume. La douceur de la vie butait contre l’esprit, occupé à maintenir un cap dont je n’avais plus souvenir. Au dehors, rien n’avait changé, tout était identique et de fait, incompréhensible. Les arbres contre le ciel racontaient leur sempiternel mystère. La lumière du soleil jouait avec les architectures têtues. Les fourmis faisaient leurs provisions et les cigales s’étaient tues. C’était l’automne, avant l’hiver qui précédait le printemps.

au fur et à mesure

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À chaque fois qu’il tentait de saisir un bout de l’histoire, elle se dérobait comme une anguille. Les avant-bras immergés, il ne récoltait guère que quelques cailloux du fond de l’eau et si ceux-ci encore trempés brillaient de tous leurs feux au soleil de son regard, une fois secs ils perdaient tout intérêt. Il les rejetait alors à l’eau et le plof qu’ils faisaient en crevant la surface lisse dépendait de leur taille et de leur forme. Cette observation toutefois ne l’avançait guère et de son histoire rien ne revenait des profondeurs.
En attendant, sur la surface froissée, des cercles concentriques finissaient par toucher les rives.

 

 

un transport commun

 

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C’est un train à vapeur qui court dans sa cage thoracique. Il n’en a jamais vu strier l’horizon mais il entend distinctement le long sifflement de la machine dans le silence relatif de sa boîte crânienne. Tout passe dans l’espace de ce temps complexe et pourtant le transitoire subsiste et s’éternise. C’est un train à vapeur qui court dans sa cage thoracique et trace de long en large de subtiles blessures inexistantes. Rien ne dure dans l’espace de ce temps complexe et pourtant ce passage mécanique perdure. C’est un train à vapeur qui court dans sa cage thoracique et creuse ses sillons dans l’espace de ce temps complexe, sillons où il bute, sillons où il s’échoue.

l’insondable

 

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Je me souviens de mes rêves. Mes rêves ne se souviennent pas de moi. Ils vont où ils veulent et je ne sais rien des espaces qu’ils fréquentent. Il sont libres et raffinés, improbables, sans doute imprévisibles. Des architectures fantasques et ordinaires bordent leurs routes. Je reconnais les personnages qui ne me connaissent pas, n’existant pas, je les écoute émerveillée, ravie par le sommeil et leur réponds parfois. Je porte ce monde en moi comme les temples portent en eux l’univers qui les dépasse et je chemine le long de ces routes singulières le coeur léger et pétri de songes.