au fur et à mesure

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À chaque fois qu’il tentait de saisir un bout de l’histoire, elle se dérobait comme une anguille. Les avant-bras immergés, il ne récoltait guère que quelques cailloux du fond de l’eau et si ceux-ci encore trempés brillaient de tous leurs feux au soleil de son regard, une fois secs ils perdaient tout intérêt. Il les rejetait alors à l’eau et le plof qu’ils faisaient en crevant la surface lisse dépendait de leur taille et de leur forme. Cette observation toutefois ne l’avançait guère et de son histoire rien ne revenait des profondeurs.
En attendant, sur la surface froissée, des cercles concentriques finissaient par toucher les rives.

 

 

leurres assassins

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Lendemains d’euphorie, toujours intacts. On regarde le monde autour de soi, toujours intact. Il ne s’agissait que d’un saut sémantique, tout au plus. Radicalement, on a promis mais la promesse est un mirage qui disparaît dès qu’on l’approche. La vision est toujours inouïe, improbable à l’horizon. Comparée au monde, toujours intact, elle fait l’effet d’un décor urbain. Vaine, elle annonce Noël en octobre et rappelle que le Père Noël n’existe pas. On n’oublie pas mais notre mémoire flanche au dessus des trottoirs.

 

l’imminent

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Comme il acquiesçait, un fourmillement dans ses mains lui rappela une explosion inouïe où toute chose qu’il eût connue se fût trouvée réduite en morceaux inutiles et insensés, tout à coup transformés par la puissance qui y sommeillait paresseusement jusqu’à peu. Toute chose qu’il eût connue… ou toute chose connue, par qui sinon par lui et lui qui? Qui connaissait et qui connaissait quoi? Il y avait une chose dedans qui connaissait une chose dehors? L’explosion balaya tout cela, une fumée grisâtre et éblouissante à la fois engloutit toute chose, le temps d’un éparpillement plutôt joyeux puis tout retomba à terre.

 

 

 

 

 

fiasco

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C’était long. Il n’en finissait pas de sentir mourir ses espérances, voire même plus prosaïquement, ses espoirs. Ce qui était tout naturel, ceux-ci étant voués à l’attente, à la confiance certes mais toujours différée. À quoi cela tenait-il? À rien, justement. La distance de l’illusion à la projection dans laquelle il vivait avait été comblée par des visions qui ne se réalisaient guère que par à-coups. Comme les sursauts d’un moribond. Si le monde était méchant, c’était banal de le constater et cela reflétait sa méchanceté à lui, d’autre part, quand il était de bonne humeur, le monde était merveilleux et cela ne changeait rien car tout semblait toujours suivre son cours sans que sa présence à lui ne lui apparût ni dans un cas ni dans l’autre véritablement indispensable, sinon pour contempler le spectacle ou pour y participer. La vraie vie est ailleurs avait-on dit plutôt loyalement mais où si tout était là? Cet ailleurs creusé dans son torse et dans sa tête qu’il faillissait à partager.

le cri de l’hirondelle

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L’observateur est témoin. Ce qui a lieu le regarde. Sa vision est son domaine et il l’influence autant qu’elle le concerne. Rien de ce qui a lieu ne lui échappe ni ne lui est étranger. Il se demande quels sont les contours de son être, où seraient les frontières de sa personne et si celle-ci n’est qu’illusion et qu’il demeure en toute chose se découvrant à ses yeux plutôt qu’en un seul corps.
Les protagonistes se sont éclipsés, il ne reste que l’histoire qui se raconte en leur absence et qui ne les regarde plus, ce vide d’événements, cette plénitude du rien, de la chose ultime, la dernière tasse de thé avant le départ, le bruit des murs, l’inutilité des portes, le cri de l’hirondelle un soir de printemps.