la tempête

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Vous étiez pourtant calme, assis à cette terrasse ensoleillée, de ce soleil humide encore frais du grand matin qui vous avait accueilli sans poser de questions. Pas une seule question il vous avait posé le soleil pour vous permettre de vous assoir là. Et vous, vous vous étiez assis sous le soleil comme si cela vous avait été dû depuis toujours. Comme si l’aube des temps n’avait rien eu de mieux à faire depuis son aube que de préparer ce matin-là, pour vous seul. Et quand elle était passée face à vous dans la splendeur de son été, vous ne l’aviez même pas vue qui vous criait que depuis toujours elle vous voulait, elle qui vous, ne vous avait jamais vu.

péril en la demeure

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Il refermait les yeux immédiatement. Il éprouvait à regarder le ciel immense et limpide un ravissement pétri d’une tendresse infinie : il lui semblait qu’en lui s’évanouissait la faculté de pouvoir supporter la beauté énigmatique du monde. Beauté qui n’avait en soi rien d’esthétique. Qu’un fait pût avoir lieu dans l’univers suffisait à la fonder. Il rebroussa chemin et se mit en route vers sa demeure. Il n’attendait pas, pensait-il, parce qu’il n’attendait plus depuis longtemps, mutant actif et tenace. Et pourtant. Dans la région du coeur, au calme nord, sans démesure mais inconcevable, une oppression douce, une appréhension muette, ne le quittaient plus.

 

les plus déserts lieux

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Il n’avait de paix non plus la nuit qui douce et calme le tenaillait, l’enlaçait,  l’embrassait, n’avait de cesse de l’aimer et de le lui signifier. Parfois il fermait les yeux et le silence relatif dans l’obscurité de la pièce se posait sur ses tympans, qui elle, n’entendaient pas. Il écoutait. Il écoutait, il écoutait en vain, le bruit que fait une absence dans le ciel étonnant des êtres humains. Une question s’élevait dans sa nuit blanche, qui semblait trancher son mutisme mais qu’était-ce donc au fond, un être humain?

le temps est un solvant

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Il n’avait pas fait le tour de la question et déjà, il baillait. C’était que la question s’était littéralement dissoute à ses beaux yeux. De question il ne subsistait pour ainsi dire et s’il ne le disait point, il ne le pensait pas moins. Il contemplait de son beau regard noir ses collègues se démener lors que (oui, lors que) lui savait pertinemment que de question, il ne subsistait et que, de surcroît, elle s’était dissoute d’elle même comme une certaine quantité de sucre dans l’eau. Ou de sel, ça n’était qu’un exemple. Tout cela pour ne rien dire, cela va de soi, puisque ce temps passé et ces constatations dûment faites ne brassaient que de l’air. Question de chimie… pensait-il en souriant, un peu liquide, un peu gazeuse. Mais qu’est-ce qui est donc solide? s’inquiétait-il en sondant son coeur de chair dans sa chair. Ses affections n’avaient pas la solidité des solides et si elles ne s’étaient pas liquéfiées, elles lui semblaient bien souvent gazeuses. Il aspirait à la joie solide et magique d’un état transcendantal.

le temps est un enfant

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Je passais quelques jours sous terre. Sous l’humus dans un bois frais et inquiétant. Un enfant de neuf ans sillonnait seul la forêt. Sa peur grandissait avec le jour et lorsque celui-ci déclinait, elle se figeait en lui comme un monstre de ciment. Alors, il respirait à peine. Il avait faim, il avait froid, il ne savait plus s’il devait pleurer ou passer outre. Depuis mon abris souterrain, je l’observais. Sur ses joues pâles les larmes avaient séché et dessiné des sillons noirs et immobiles qui partaient des yeux et indiquaient les oreilles, alertes. Il marchait, marchait, parfois s’arrêtait, en vain. S’il avait eu un nom, il l’avait oublié, si rien n’avait jamais existé pour lui, désormais il n’y avait plus rien. La terreur tissait autour de lui une toile immonde et il se promettait de l’écraser un jour, distraitement, comme un minuscule insecte. Et s’il n’y parvenait, ses enfants auraient tenté, et les enfants de ses enfants, et les enfants des enfants de ses enfants. Une armée d’enfants se levait et il la voyait venir à lui, fraîche, forte, légère. Je la vis venir aussi, terrée que j’étais et à son passage je ne pus éviter d’être happée par son élan. Je me retrouvai portée par mille petits bras aimants et inaccessibles vers le grand jour qui couvrait le monde.