le soleil la nuit

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Il ne lui suffisait plus de savoir qu’il avait renoncé. Cela comptait peu. Il espérait que ce renoncement fût la contrepartie inévitable d’un destin qui l’exigeait. Maigre consolation! Piètre espoir qui n’en était pas un d’ailleurs, puiqu’il s’agissait d’une conviction. Et rien de moin sûr pourtant, que le cours d’un destin dont le secret n’est dévoilé – s’il l’est – qu’à la fin ou successivement. À moins que le secret ne réside précisément en cela que ce qui se joue dans un destin le transcende et ainsi, doive tout ou rien aux conditions qui ont vu émerger le génie ou l’existence.

 

comprendre – quoi?

 

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Ils allaient et venaient comme si de rien n’était sous le ciel pâle et je me surpris à penser que tout était possible. Rien n’était moins sûr et pourtant, en regardant les paumes de mes mains je me prenais à rêver. Les pierres racontaient en silence le vent sur l’asphalte humide et sale. Il ne s’agissait pas de comprendre. Comprendre quoi? Un merle sautilla depuis un muret sur le trottoir puis s’envola au dessus d’une haie inutile. Il disparut complètement. C’était à en pleurer tant on ne comprenait pas le sens de son passage furtif. Mais alors, me direz-vous, on n’en aurait pas fini.

Un lambeau d’affiche admettait que les femmes aussi mais on ne savait pas quoi.

 

un et un font un

La femme disparut au coin de la rue. Dans l’air froid et sec, résonnaient encore ses paroles cristallines N’abandonnez pas votre coeur!
Je mis mes mains plus au fond dans mes poches et gageai que le mien – de coeur cela va sans dire – était bien dans ma cage thoracique et ma cage thoracique à sa place sous mon manteau de laine. Abandonner son coeur! C’en était une bien bonne! Et où donc, l’abandonner? Par zèle, chez le boucher?
– Bonjour monsieur, je voudrais abandonner mon coeur et d’autre part cela me désappointerais de ne pas le rendre utile, si j’ose dire, pourriez-vous le dépecer et le vendre?
C’était tout à fait absurde. Autant le jeter aux lions du zoo qui posent tristement leur museau royal sur leurs pattes nonchalentes à force d’impuissance.

 

le monde à soi

Elle était bien décidée à creuser dans le paysage un chemin qui s’y serait perdu. Au fond, elle n’y était pour rien. Comme son coeur battait et qu’elle respirait, elle en convint qu’elle était vivante. La lumière forte enveloppait son beau visage et faisait danser autour d’elle de curieux chatoiements dans les herbes hautes. C’était à tomber à terre, tant de beauté. À tomber, vivant, à terre. Mais elle marchait, elle marchait. Elle cherchait dans la courbe savante que dessinait son barycentre au dessus du sol, une clé pour entrer, une formule magique à prononcer en silence, au creux du coeur, pour voir refluer le monde à soi.

bataille

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Il s’écartait, imperceptiblement, il détournait son beau visage. Il cherchait un espace où respirer encore. Qui sait jamais ce qui a lieu dans l’espace? Qui sait, jouet de soi-même ou de l’univers, ce qui a lieu dans l’espace – jouet, merveilleux jouet? Et dans le mouvement imperceptible qu’il faisait pour se détourner d’un souvenir, d’une voix contre la sienne, de deux yeux au fond des siens, il sentait dans son coeur planté, un être tout entier, mortel comme tous les autres qui étaient mortels.