the dark side

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Il attendit un instant sur le bord du trottoir, les yeux figés sur l’eau limpide qui courait dans le caniveau. Qu’il fût né le laissait bouche bée. Qu’une sensation telle l’inquiétude qu’il éprouvait à l’idée de ne pouvoir payer son loyer pût coexister avec cet étonnement candide et total qui le ravissait à l’idée d’être en vie lui semblait incongru.
Rien, pensait-il, n’aurait dû pouvoir l’arrêter, tant cette joie surprenante de vivre, qu’une telle chose soit possible, concevable, factuelle même, l’exaltait et laissait la ville comme tremblante après le passage invisible d’un miracle. Et pourtant, comment allait-il payer son loyer?
Décidément il n’y avait pas de relation directe entre la merveille qui palpitait dans son corps et la solution d’un problème de cet ordre. Son propriétaire, vivant lui aussi d’autre part, même si à première vue, on ne savait qu’en penser masi que l’on se rendait à l’évidence, il vivait de cette même vie, bref, son propriétaire incombait, intransitif et définitif.
Il n’allait tout de même pas aller trouver l’homme, tout vivant qu’il était et lui dire :
– On ne dirait pas mais vous êtes vivant! Vous rendez-vous compte de cette chance qui vous est tombée du ciel, en même temps que vous sortiez du ventre de votre mère?
Non, décidément, il ne pouvait pas. De surcroît, il craignait que cet argument capital, qui aurait dû changer la face du monde à l’instant même où la conscience le proférait, et donc la sienne, de face de monde, n’ait eu aucune conséquence sur le cours normal des choses. D’ailleurs, il ne voyait pas non plus le rapport, d’un certain point de vue.
Il ne pouvait décemment pas non plus s’enquérir :
– Qu’est-ce qu’un loyer en regard d’une planète?
Ni même – Qu’est-ce qu’un loyer en regard d’une étoile, d’un caillou, d’un seul de mes cheveux etc.
Une certitude lumineuse l’envahit. L’argent allait lui tomber du ciel. Tout comme la vie. Rien de moins. Il scruta l’horizon, l’azur si bien nommé et en conclut que non. Contre toute attente, il n’y avait rien à faire, l’argent ne tombait pas du ciel.

nouvel air

Très calmement je continuais de marcher vers le port. Les cris des vendeurs ambulants striaient l’air. Sur les étals, les poissons mouraient asphyxiés. Ils se contorsionnaient inutilement, s’épuisaient en vain. Par dessus eux les cris fusaient et parfois des rires. Le sol trempé d’eau salée, poisseuse, brillait comme une pièce précieuse sous le ciel brûlant, d’une beauté démente, insignifiante presque à force de perfection silencieuse. En plissant les paupières on pouvait plonger son regard droit vers le haut ou droit en face ou à ses pieds, indifféremment, l’intensité perceptive, qui dépassait de loin le visible incendiait le coeur. La joie qui irradiait de là jetait à genoux, pleine de grâce, et sans se suffire en elle-même, ne se consumait pas pour disparaître, mais alimentait un canal qui ressemblait à une nouvelle voie respiratoire.

prélude

Ses pieds couraient sur le trottoir humide. Parfois ils évitaient nonchalemment une flaque immobile où se miraient les grands arbres du boulevard. Ces platanes majestueux étaient silencieux, comme à l’annonce de quelque mouvement sourd des plaques terrestres. Les oiseaux ordinairement tumultueux à cette heure, se taisaient. Le vent était tombé mais on le cherchait en vain à terre. Ça n’est pas dieu possible! jurait une passante qui disparaissait au coin de la rue. Si, c’était dieu possible. D’ailleurs tout était dieu possible. Il suffisait de le vouloir, ce qui, j’en conviens volontiers et sans me faire prier, n’est pas une mince affaire. Et puis, vouloir quoi?

 

on ne va jamais aussi loin que lorsqu’on ne sait pas où l’on va

Je relevais les yeux. Je ne reconnaissais rien. La rue inondée de soleil, toute droite montait vers le ciel. Celui-ci sans faire d’histoires s’était couché à terre. Il respirait tranquillement. Sur la pointe des pieds, j’avançais. Dans l’air mobile, des questions secouaient ma chevelure, courte d’autre part, les questions ne s’y agrippaient que pour mieux continuer leur course au vent. Légère, je poursuivais mon chemin de nuage en nuage. Sur le bleu de cet asphalte limpide et franc, j’écrivis un nom, qui disparut aussitôt: le ciel est inconstant.

 

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agapo

C’était inexplicable. J’avais un seau sur la tête, je ne voyais plus rien. Je tendais les mains vers l’avant et du bout d’un pied puis de l’autre, je tâtais le chemin. Avancer ainsi était un véritable défi, cela n’ayant rien d’aisé. La voisine se mit à crier par dessus le vide qui séparait sa fenêtre de la fenêtre qui lui faisait face. La fenêtre devint océan, tendre et mouvant, déchaîné mais qu’importait? La rue s’emplit immédiatement d’embruns et les visages humides souriaient. Les paupières écloses se couchaient sous la lumière d’un jour blanc, neutre presque à force d’être éteint. Je tombai à terre. Aussitôt des astres se ruèrent à ma suite. Ils me criblaient de signes que je ne comprenais pas. Sur mon ongle, l’un d’eux scintillait, indifférent. Au coin de ma lèvre, un autre creusait l’infini sourd de son extinction. Je n’en finissais pas, muette, de chercher le silence.