considérations extraterrestres

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Je marche sans lever les yeux. La terre foulée est sèche. Sur mes bottes bleues, la poussière. Dans les cheveux lâchés, le vent. Des questions se bousculent, auxquelles je ne réponds pas. J’aimerais toutes les mettre dans une boîte. Et jeter la boîte. Dépasser le bout de mes pieds. Ces mains étranges que je tends devant moi, incompréhensibles, muettes. Le bout de mes doigts. Des étoiles à la place des ongles. L’infini vient battre à ma tempe. J’ai la tête en bas pour celui qui regarderait du fond de l’univers, les yeux plissés par une lumière que j’ignore en sirotant un Martini extraterrestre et en se demandant comment il est possible que je ne chute pas jusque lui.

la faim des haricots

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Monsieur le Ministre se gaussait. Il était tellement satisfait de lui-même que son visage semblait prêt à imploser. La tension qu’il éprouvait était jouissive. Au dessus des autres il planait, vorace, l’oeil méfiant mais repu et satisfait. Toujours, il en avait rêvé, avoir une belle grosse voiture, une belle grande maison, des privilèges aussi, de toutes sortes, il en avait rêvé oh oui et sa fonction de ministre lui avait permis de réaliser ce rêve.
Quoi? Il avait eu un rêve politique? Quand cela? Pas même en rêve! Son rêve était tout petit, c’était un rêve bourgeois, il ne fallait surtout pas s’y méprendre.
Non, non, au fond les gens le gênaient. Sans eux, la politique eut été une broutille! Mais les gens, les gens, c’étaient eux qui gâchaient tout, qui compliquaient tout. Les gens, c’était le début des ennuis, la fin de la politique!
Son rêve, à présent qu’il avait atteint le premier – son grand rêve bourgeois – c’était que les gens disparaissent.
Alors oui, il jouirait complètement, absolument, totalement!

la pieuvre

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La foule criait et ne savait plus comment exprimer son adhésion. Une seule tête devait penser pour elle. Une seule tête qui se serait révélée multiple et tentaculaire, qu’importait!
Une tête de pieuvre valait mieux que rien. Qui se serait infiltrée bien vite dans les têtes oisives et s’y serait développée, monstrueuse, harceleuse, mangeuse de vie, dévoreuse de temps.
Dans la foule en liesse une enfant passa, silencieuse. Elle touchait à peine les corps parmi lesquels elle se frayait un chemin. Quand elle fut parvenue à distance, lentement, elle se retourna, pour voir.

canicule

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Il y avait tant de lumière en ces jours torrides, par les persiennes closes, elle filtrait et striait la pièce plongée dans sa cotonneuse torpeur.
Une armoire pâle dans l’obscurité avait l’immobilité d’un insecte. Ses battants semi clos attendaient. Un maillot oublié sur une chaise y restait. La chaise avait ses quatre pieds posés au sol, sur un tapis bariolé qui couvrait le carrelage frais. Rien ne bougeait, tout semblait frémir et peser à la fois d’un poids mystérieux.

sensible essor

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La foule amassée dans la cour attendait que la porte s’ouvrit. Un seul signe aurait suffit à soulager son impatience mais nul signe n’interrompait cette attente assommante. L’incertitude dans laquelle chacun était de voir se dénouer cette scène d’une façon ou d’une autre créait une tension qui à cette heure arrivait à son comble sans jamais l’atteindre.
Le moindre changement semblait préférable à l’immobilité. Pourtant, nul ne pouvait jurer que ce changement aurait produit un quelconque progrès.
– Depuis quand êtes-vous là? une voix cherchait une oreille attentive.
– Quelques heures, répondait une autre qui n’avait pas envie de questionner en retour.
– Moi aussi, c’est intenable à la fin, ajoutait la première voix qui s’était passée d’être interrogée pour continuer.
– Vous pourriez vous en aller, suggéra judicieusement la seconde voix.
– Certainement pas! Pour perdre ma place? Je n’ai pas attendu tout ce temps pour rien! Il n’en est pas question! Vous en seriez bien aise, non?
La seconde voix se dispensa de commenter. Le silence couvrit à nouveau la cour. Petit à petit, le froid se fit plus intense.
La porte que chacun fixait d’un regard las était toujours fermée.