Le revirement

Il était une fois une grincement de dent. Il se vit couvert par une avalanche de nouvelles, tristes nouvelles, venues du monde, celui-là que l’on croit partager. Or on ne partage pas un monde, on partage tout au plus un algorithme.

Dans la clarté de sa nature terrestre, il restait tout aussi incompréhensible qu’un claquement de doigts ou qu’une mésange sur la haie du voisin. La teneur absolue du mal, qui n’est que la contrepartie d’une impuissance à voir au delà des choses de ce monde – justement, car il est plein de « choses » – donnait à sa présence la surprise éblouissante de l’éclair.

L’évidence est un nuage qui passe dans notre ciel, la peur le martyrise, la joie le pluie grands espaces en cataractes sur nos yeux incrédules.

leurres assassins

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Lendemains d’euphorie, toujours intacts. On regarde le monde autour de soi, toujours intact. Il ne s’agissait que d’un saut sémantique, tout au plus. Radicalement, on a promis mais la promesse est un mirage qui disparaît dès qu’on l’approche. La vision est toujours inouïe, improbable à l’horizon. Comparée au monde, toujours intact, elle fait l’effet d’un décor urbain. Vaine, elle annonce Noël en octobre et rappelle que le Père Noël n’existe pas. On n’oublie pas mais notre mémoire flanche au dessus des trottoirs.

 

malgré tout l’intérêt

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L’aspiration initiale s’envola par la fenêtre ouverte. Libre comme l’air et croisant les hirondelles, elle changea de direction à plusieurs reprises, évoluant par à-coups perpendiculaires à la trajectoire précédente. Ces mouvements improbables évoquaient ceux des ovnis dont on sait – bien que l’on ne sache pas s’ils existent – qu’ils en exécutent de tels.
Personne n’observait l’étrange phénomène qui se déployait donc inutilement dans le ciel. Un groupe d’amateurs d’art assistait à une performance en hochant la tête («secouer la tête de droite à gauche ou de haut en bas pour exprimer des sentiments divers, voire opposés, et interprétés d’après la mimique qui accompagne ce mouvement»).

des espoirs en fumée

Je me trouvais par un curieux hasard sur Terre. Il s’agissait d’une planète parmi tant d’autres, c’est vrai, mais toutefois de la seule dont je foulais le sol. Je sirotais un verre de vin pour réconforter mon âme quand je décidai de sortir acheter des cigarettes. Dans ces cas-là, il arrive qu’on ne revienne pas. On s’en va lâchement, en abandonnant le navire, le dîner du soir, le toit et les murs et les affections indéfectibles. Comme j’étais seule, je revins, c’est-à-dire que je rentrai à la maison et me servis un autre verre de vin.

La Terre est vaste et nos limites inconcevables, non moins parfois que celles de l’univers, n’ayons pas peur des mots.

le cri de l’hirondelle

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L’observateur est témoin. Ce qui a lieu le regarde. Sa vision est son domaine et il l’influence autant qu’elle le concerne. Rien de ce qui a lieu ne lui échappe ni ne lui est étranger. Il se demande quels sont les contours de son être, où seraient les frontières de sa personne et si celle-ci n’est qu’illusion et qu’il demeure en toute chose se découvrant à ses yeux plutôt qu’en un seul corps.
Les protagonistes se sont éclipsés, il ne reste que l’histoire qui se raconte en leur absence et qui ne les regarde plus, ce vide d’événements, cette plénitude du rien, de la chose ultime, la dernière tasse de thé avant le départ, le bruit des murs, l’inutilité des portes, le cri de l’hirondelle un soir de printemps.