le temps qui presse

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Je ne saisissais pas vraiment où il voulait en venir. Je le regardais donc s’évertuer à cacher ses mains dans son par-dessus de laine noire. Le soleil à l’horizon voulait toucher les toits.
– Tu comprends, ça n’est pas que je ne voulais pas lui tendre la main mais le temps pressait, tu comprends
Je ne comprenais rien. Ça n’était pas que je ne voulais pas lui tendre la mienne, de main et quant à moi, j’avais tout mon temps. Mais son air insincère me lassait. Où veut-il en venir? ne cessais-je de me questionner. Le temps passant, et parce qu’il passe toujours, je commençais à avoir des crampes aux jambes. Je remuais tranquillement un pied puis l’autre tandis qu’il m’observait de biais.
– Tu comprends, le temps pressait
Contre quoi? me demandais-je à moi-même, qui en l’occurrence était un interlocuteur plus fiable quoique un peu distrait.
– Bon ben je vais y aller, ce sera pour la prochaine fois, salut
J’acquiesçai en silence et mon regard croisa le sien qu’il détourna immédiatement. Je suivis un moment sa frêle silhouette se frayer un chemin sur le boulevard. Il foulait aux pieds les premières feuilles mortes et donnait de temps à autre un coup de pieds dans de mystérieux obstacles. Une vieille femme passa devant moi lentement, elle me sourit Alors mademoiselle, il commence à faire frais n’est-ce pas? J’acquiesçai de nouveau et mes yeux rencontrèrent deux yeux vivants qui avaient traversé toute une vie.
Lorsque je me mis en chemin, mes jambes engourdies se délièrent rapidement, le soleil avait touché les toits humides et la soirée s’avançait, royale au dessus de cette portion de terre.

une chaise une table

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Parfois je voudrais écrire. Je trouve un crayon, une feuille. Je cherche une chaise, une table, et ne vois rien. Je regarde le ciel sans comprendre. Puis je regarde le crayon, la feuille. Je regarde le ciel et je ne sais pas où m’asseoir. Je joue avec le crayon, avec la feuille et je me souviens. D’une chaise et d’une table devant le ciel. Une chaise et une table et il n’y a plus personne. Que le ciel. Et sans chaise et sans table, avec un crayon inutile dans la main et une feuille blanche dans l’autre, j’écoute. Parfois on me rend visite et on s’exclame! Comment ! N’ai-je pas une chaise ? N’ai-je pas une table ? Où m’asseoir pour écrire ! Oui, on s’exclame. Mais moi, je ne comprends pas. On m’exclame que j’ai une chaise et que j’ai une table. Quand je n’ai même pas de toit ! Je sais que les mêmes vont encore s’exclamer. Mais tant pis, il faut bien dire un jour les choses comme elles sont quand elles n’y sont plus.

la victoire de samothrace

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– Qui n’a pas compris la leçon lève la main…
Immobilité lunaire.
– Eh bien? Je vois que j’ai affaire à une classe hors norme et qu’au prochain devoir sur table vous aurez tous 20 sur 20
Silence interstellaire.
– Évidemment, au vu des derniers résultats de la majorité d’entre vous, je crains n’être pas sur la bonne voie…
Avez-vous déjà noté le bruit insupportable que fait une mouche qui tape contre le carreau d’une salle de classe moite et muette?
– Je dirais plutôt que vous êtes surtout pressés de sortir, non? Qu’en dis-tu toi qui te caches au dernier rang? Tu crois que je ne t’ai pas vu passer un billet à ton voisin? Amène-moi ça!
Mouvements désordonnés, rires. Un élève penaud se retrouve debout entre les bancs, un billet blanc au bout des doigts. Il hésite mais elle crie.
– Amène-moi ça tout de suite!
Si elle avait vécu à Samothrace la maîtresse n’aurait paru plus victorieuse. Elle venait de défier le ciel, des lauriers tombaient sur sa chevelure pâmée, l’élève penaud lui avait remis son trophée. Elle s’élevait, elle s’élevait, le billet blanc dans une main.
Elle retomba sur l’estrade et se mit en devoir de le lire, debout devant la classe en attente. Elle leva enfin les yeux, un peu pâle.
– Qui a écrit ça?
Silence galactique.
– J’ai-dit ‘qui-a-écrit-ça?
La mouche monotone à la fin (comme depuis le début d’ailleurs) cognait désespérément contre carreau qui ne lui avait rien demandé. Il ne vînt à personne l’idée de lui ouvrir, absorbé que chacun était par le visage décomposée de la victoire de Samothrace debout sur l’estrade et qui commençait à comprendre pourquoi la statue avait perdu la tête.

le ciel sous mes pas

Il y avait le ciel sous mes pas et la terre me recouvrait.

1
C’est le temps de la tempête
Mon amour je n’existe pas
Plus qu’une vague
2
La houle sous mon pas
Et le soleil éclaboussant
Le mal de mer équidistant
Et ton sommeil profond
3
Mon cœur rebondit
Tu m’océans larges espaces
Et un astre se reflète
À ma surface
4
On ne se noie pas
Résiste à tous vents
Mensongers je mens
Sur le pont léger
Le mât ne ploie
Que pour aimer
5
Mille gouttelettes
Sur mon front tremblant
Miroitent
Et ma main blessée
Ne t’aime pas assez
Tu t’affluents du grand fleuve
Qui court en toi
Tu t’épuises
Tu te taries
6
Sommes-nous sources
Sommes-nous océans
Sommes-nous pluies
Ou vents ou feux
Sommes-nous éternelles
Aubes sur le couchant ?

passé simple

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– Ah mais on aura tout vu!
Une femme s’agitait sur le trottoir et serrait son sac à main contre son corps comme si une ombre soudaine lui avait glissé à l’oreille qu’on en avait après lui.
Le vendeur de légumes frais, derrière son étalage parfumé de basilic, de tomates, de poireaux, de haricots, de courgettes et j’en passe parce que ce serait long, la regardait sans comprendre, comme s’il voyait la lune pour la première fois, sur le boulevard, un jour de marché par dessus le marché.
– On aura tout vu! répétait-elle et le vendeur se demandait tout quoi exactement.
La femme continuait de s’agitait mais la foule miséricordieuse la soustraya – eh bien non justement, on ne peux pas soustraire au passé simple, ça n’existe pas, on peut soustraire aux autres temps, mais pas au passé simple, au subjonctif imparfait non plus mais qui en avait envie d’autre part? – donc la foule miséricordieuse déferlant entre les étalages du marché soustrayait petit à petit la femme au regard du vendeur qui loin d’avoir tout vu lui, souriait un brin de célerie entre les dents.