Pinocchio s’était hissé sur la table. Il déplaça une assiette pour s’assoire à son aise. Il se servit un verre de vin et se mit à réfléchir.
– Tu bois du vin maintenant?
Il ne répondit pas, visiblement absorbé par quelque chose qu’il semblait chercher au travers du mur qui lui faisait face.
– Eh bien, tu n’es pas très bavard ce soir…
Il tourna vers moi un regard creux qui me traversa exactement comme si je n’y avais pas été. Ma surprise fut telle que je me retournai pour voir s’il y avait quelqu’un derrière moi. Je vis mon ombre effilée décrire un angle droit entre le parquet et la paroi sur laquelle elle s’élevait, indépendamment de moi.
– Tu ne dis rien? Tu es curieux ce soir, vraiment d’habitude c’est plutôt… je ne finis pas ma phrase parce que Pinocchio s’était hissé sur la table, il ressemblait à un monument grotesque à la gloire d’on ne savait qui. Il leva sa main de bois et comme il continuait de fixer le mur derrière moi, je me retournai à nouveau. L’ombre de sa main toucha l’ombre de mon épaule, suivit la courbe de mon cou et fit le tour de ma tête.
– Tu devrais aller voir ailleurs… il avait parlé sans détacher les yeux de nos ombres, la main suspendue. J’attendais avec impatience qu’il finisse sa phrase et n’osai souffler mot comme de crainte de souffler sur une flamme vacillante.
– Tu devrais aller voir ailleurs… continua-t-il sur le même ton étrange qui ne m’étonnait même plus, je n’étais plus à ça près.
– Tu devrais aller voir ailleurs si j’y suis, conclut-il et ses yeux brillants rencontrèrent enfin les miens qui se baissèrent sans que je comprenne pourquoi.