Ça n’était pourtant pas simple de retrouver mon chemin dans les méandres de ma mémoire faillissante. J’oubliais juste, ce qui est tout naturel en l’occurrence, que je n’avais rien oublié et que tout était là, encore m’eût-il, exactement c’est comme ça qu’on dit, fallu trouver la bonne porte, c’est à dire ne pas la chercher puisqu’elle était là où je ne m’attendais pas.
En attendant je rougissais de ne plus savoir comment s’appelait cet homme qui avait découvert l’eau chaude. Mais ce n’est encore rien en regard de mon trouble lorsque je constatais que je ne me souvenais plus ni du nom de cette femme dont le travail m’avait bouleversée ni de la raison cruciale pour laquelle ce travail m’avait bouleversée. Et pourtant il en allait de l’histoire non moins que de la mienne qui s’inscrivait sur cette grande et mystérieuse page qu’un dieu insouciant tournait dans l’univers en regardant sa montre.
Parce que le temps pressait, le temps pressait. Il pressait contre nous tandis que ce dieu avait tout son temps et regardait sa montre machinalement, comme quelqu’un qui a tout son temps justement.
– Tu n’es pas fatigué de raconter des inepties?
– Pinocchio à cette heure tardive tu devrais déjà être au lit, et j’imitai le dieu qui avait tout son temps en jetant un regard nonchalent à ma montre.
– Oh si c’est pour ça… moi j’ai tout mon temps!
– C’est bien ce qui m’inquiète…
Pinocchio haussa les épaules comme à son habitude. Il se dirigea vers le balcon et s’appuya au parapet. Sans comprendre pourquoi je le suivis. Nous regardions le ciel en silence quand tout à coup il s’exclama:
– Ah j’oubliais!
– Quoi? j’étais suspendue à ses lèvres de bois.
Mais il était tant en avance sur son oubli qu’il disparut pour le rattraper.