J’étais tout à coup sans argument aucun et je me repliais dans mes derniers retranchements. Ils étaient pour le moins constitués de points d’interrogation gigantesques. Je les regardais flotter dans la pièce, au-dessus de la table dressée.
– Il n’y a rien, rien! En dehors de cette table, de cette maison, des autres maisons, des autres tables, rien! Et tout ça c’est de l’argent et sans argent, il n’y a rien!
Mon père tapait doucement du poingt sur la table pour appuyer ses propos. Les gigantesques points d’interrogation avaient heurté le plafond et je les observais perplexe. Je ne distinguais plus bien la pièce.
– Sans argent il n’y a rien!
On avait compris. Un point d’interrogation avait atterri contre mon verre et je tendis la main pour l’effleurer.
– Plus tard, il faudra bien que tu te trouves un métier, comme tout le monde!
Tout le monde trouvait donc un métier. Les points d’interrogations comblaient désormais les moindres recoins de la pièce, ils étaient devenus monstrueux. L’un d’eux, pressé contre mon visage commençait à m’empêcher de respirer. D’ailleurs, je suffoquais.
– Mais la flamme intérieure, je ne sais pas moi… le cosmos!
Le mot retomba sur la nappe, entre les verres. Il était minuscule, un peu ridicule même. Il se cogna à une fourchette.
– Le cosmos! Mais quand on a faim, on n’en a que faire, du cosmos!
À cet instant ma mère entrait dans la pièce, un plat de pommes de terres rôties fumantes dans les mains.
– Qui a faim? demanda-t-elle, candide.