J’errais sur les trottoirs en proie à un doute qui m’affligeais. Je n’arrivais pas à en saisir la substance. Il s’insinuait sournoisement sous mes paupières et les faisait cligner de façon insolite. Mes mains hésitaient au bout de mes bras. Parfois je pouvais en agiter une pour m’assurer qu’elle fonctionnait bien. Les passants me dévisageaient et pointaient les yeux sur ma main folle. C’est à dire qu’ils ne me voyaient sans doute pas, absorbés qu’ils étaient tout à coup par cette main étrange.
– Dans quelle étagère? interrogeais-je mon souvenir qui déployait une longue liste d’objets bien ordonnés
– Si tu rangeais les choses à leur place, tu les retrouverais sûrement!
– Oh ça va Pinocchio… tu sais toujours tout mais tu te gardes bien de le dire… alors moi tu sais, tes sous-entendus, tes phrases à demi mâchonnées…
– Elles ne sont pas à demi mâchonnées
Il accéléra le pas tout à coup sur le trottoir où désormais la foule s’était faite dense. Je me hâtai à sa suite comme si je n’avais pu supporter l’idée de perdre sa trace.
– Elles ne sont peut-être pas à demi mâchonnées mais tu ne peux pas dire que tu sois très clair
– Je suis très clair même, comme la foudre
– Oui justement…
Il semblait à nouveau en colère. Décidément je n’avais pas mon pareil pour embrouiller les choses avec ce pantin.
Mes paupières pesaient tout à coup plus lourdement sur mes yeux qui s’accrochaient à l’asphalte humide et aux petits pieds de Pinocchio qui me devançait allègrement.
– Tant que tu penseras à faire de l’ordre sur tes étagères, tu erreras sur les trottoirs les paupières pesantes, voilà ce que je te mâchonne tout entier, moi.
Quand le sage pointe la lune l’imbécile regarde le doigt. Moi je regardais Pinocchio qui trottait devant moi et tirait sa langue invisible aux passants soucieux.